Mercredi 31 mai. Le matin à la piscine, on était deux à se partager les 4 couloirs de nage, alors j’en ai profité pour nager beaucoup-beaucoup, même si je n’avais pas forcément beaucoup d’énergie. Le maître nageur faisait les cent pas, en espérant probablement que les deux petites pénibles qui nageaient arrêtent plus tôt leur entrainement pour qu’il puisse fermer la piscine avant 8h15, heure de fermeture réglementaire au grand public. Pour être sympa avec lui – il me stressait un peu, le bougre, avec son sac à dos, prêt à partir alors qu’il n’était que 8h05, j’ai fini mes séries à 8h12, lui octroyant ainsi trois minutes de congé supplémentaires.
Je suis rentrée chez moi en souriant, il faisait beau alors qu’il y avait eu un déluge quelques minutes avant. En rentrant chez moi, j’avais un message de ma maman qui contenait quelque chose de merveilleux, il y avait une émission sur la course sur France Inter, et puis je ne sais pas trop, je me suis dit que cela allait être une jolie journée. Il faisait un temps gris-maussade depuis lundi, autant dans la météo que dans mon esprit – les hauts et les bas de la vie en freelance, je vous ai préparé un petit article terriblement larmoyant à ce propos, vous allez adorer – alors entrevoir un petit rayon de soleil, autant dans la météo que dans mon esprit, c’était plutôt chouette.
J’ai envoyé un petit message à C., en lui disant que je croyais bien que c’était mon jour de chance aujourd’hui, elle m’a répondu « maximise-la ». Alors je me suis dit que j’allais faire des choses qui me font peur, d’habitude. J’ai répondu à des annonces, j’ai parlé de papermiint, j’ai ressorti mes aquarelles, bref, j’ai décidé que cette journée-là allait être différente – j’ai même changé de marque de crackers, c’est vous dire à quel point j’étais prête pour l’aventure.
Le soir, avant d’aller au yoga, j’ai machinalement ouvert la boîte aux lettres, en marmonnant encore contre mon ancien locataire qui n’a jamais fait son changement d’adresse et qui reçoit encore des tas de courriers chez moi, ce qui m’agace un peu – sans grande raison, je vous l’accorde -, et puis, il y avait cette enveloppe en carton, ce Xpresspost que pas mal d’immigrés au Québec connaissent. Cette petite enveloppe que l’on nous réclame, à la toute dernière étape avant d’obtenir la résidence permanente, ce précieux sésame délivré après des années de visas à durée limitée. Toute fébrile, j’ai ouvert l’enveloppe (j’avais un peu peur parce que juste après avoir envoyé ce courrier, trois semaines auparavant, je m’étais rendu compte que j’avais totalement oublié de noter mon nom sur les photos d’identité, comme c’est demandé, et que comme je sais qu’on ne plaisante pas trop avec les règles de l’Immigration, je me disais qu’on allait me renvoyer les photos en me demandant de respecter les règles écrites en gras dans le document qui précise bien les spécifications des documents à envoyer) (j’avais oublié de noter mon nom parce que j’étais énervée ce jour-là, il y avait beaucoup de monde à la poste et je m’étais fâchée contre moi d’avoir attendu 16h30 pour aller poster mon enveloppe alors que, sérieusement, je travaille de chez moi toute la journée, c’était vraiment faisable d’y aller plus tôt, et j’allais rater mon cours de danse, et si l’enveloppe ne partait pas aujourd’hui, bon, ben ça faisait une journée de plus à attendre mon visa, ça m’emmerdait vraiment beaucoup mais je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, alors comme je pensais à ça, j’avais oublié de noter mon nom derrière la photo au moment où le monsieur au guichet a pris mon colis), alors donc, toute fébrile, j’ai ouvert l’enveloppe et puis tout en haut, c’était marqué « confirmation de résidence permanente ».
Alors j’ai tremblé un petit peu et j’ai souri, vous savez, ce sourire plein de frissons et de soulagement, ce sourire qui dit que tout va bien aller, maintenant.
Je ne sais pas trop si ceux qui ne sont pas passés par cette étape d’immigration – au Canada ou ailleurs, je suppose que c’est un petit peu la même attente partout – peuvent comprendre cet état d’euphorie. Cela fait trois ans et quelque mois (huit mois et dix jours, pour être très précise) que j’ai posé mes valises à Montréal, sans vraiment savoir si je voulais rester longtemps, ou pas longtemps, ou toute ma vie, je n’en savais rien, au début, c’était pas prévu comme ça, au début c’était juste neuf mois, le temps de prendre l’air et je reviens, et puis finalement, après le PVT, il y a eu le Jeune Pro, après le Jeune Pro, il y a eu le CSQ et puis après ça, la résidence permanente, c’était l’étape suivante obligatoire si je voulais faire ce que je voulais comme travail, alors bon, comme je devais de toutes façons faire quelque chose avant décembre 2017, puisque mon permis de travail se terminait là, et que j’avais déjà franchi – et payé – les étapes jusque là, autant continuer, on verra bien après si je veux rester ou pas.
Autant d’étapes pendant lesquelles on se pose toutes ces questions, toujours, est-ce que c’est la bonne chose à faire, est-ce que je veux construire quelque chose ici, est-ce que dans quelques années, je ne vais vouloir rentrer à la maison et alors, tout ce qui aura été construit ici sera à refaire, ailleurs, autrement, et est-ce qu’il y aura un moment où je serais certaine de mes décisions et où je saurais, sans douter, que c’était le bon choix.
Et puis hier, en voyant ce petit bout de papier qui voulait dire tant de choses, tu es chez toi maintenant ici, regarde, on a bien envie que tu fasses partie de la vie de ce pays, longtemps, ou pas longtemps, ou pour toute la vie, c’est toi qui choisiras, j’ai pleuré de bonheur, parce que même si je ne sais toujours pas si je veux vraiment rester ici longtemps, ou pas longtemps, ou toute ma vie, même si je sais que ces questionnements perpétuels seront toujours là, je sais que maintenant je pourrais dire, partout ailleurs, que si je rentre à la maison, ça pourra vouloir dire le Canada.
Vous savez, c’est très étrange, je trouve, cette envie incessante de se trouver un nouveau chez-soi. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai été habituée à bouger quand j’étais petite, ou si c’est juste que jusqu’à présent, je me suis jamais sentie vraiment chez moi là où j’allais, mais c’est la première fois que je décide vraiment, moi, pas le résultat d’un concours qui m’envoie dans une ville, pas la mutation de mon papa qui embarque toute la famille ailleurs, non, cette fois-ci, c’était moi. J’ai signé les papiers qui disaient que je voudrais bien vivre au Canada encore quelques années, j’ai envoyé tous les chèques, j’ai rempli tous les papiers – et il y en avait un bon petit paquet, pour la phobique administrative que je suis. Alors, je ne sais toujours pas si ce petit « permanent » va vouloir dire « toute la vie », mais après plus de trois passés en étant en sursis, avec une date de fin écrite sur un passeport, c’est un sentiment assez merveilleux que de savoir que ce permanent, il n’y a plus que moi pour décider de ce qu’il voudra dire.
Alors, effectivement, ce mercredi 31 mai, c’était une belle journée.
(les photos ont été prises il y a quelques semaines, lorsque les premiers beaux jours pointent le bout de leur nez à Montréal et qu’après de longs mois d’hiver à vouloir faire ses valises et partir au soleil, on se dit que Montréal est belle et que finalement, on est bien, ici.)