Parfois, je voudrais vous raconter les délicieux mails que ma maman m’envoie. Depuis que je suis partie de chez mes parents, j’entretiens une relation épistolaire virtuelle assez intense avec ma maman. Les premières années, on s’envoyait probablement au moins un mail par jour, souvent plus, jamais moins, rempli de tout : qu’as-tu mangé à midi, que fais-tu cet après-midi, comment étaient tes cours ce matin.
Traditionnellement, on signait toujours de la même manière. Tamamanquitaimetresfort et tafillequitaimetresfort, très souvent agrémentés d’épithètes qui nous correspondaient sur le moment et qui rendaient ces signatures atrocement longues et pas vraiment lisibles.
J’ai toujours chéri ces mails, parce que j’ai toujours vu ma maman envoyer presque religieusement, chaque matin, avec son thé bouillant et ses biscuits soja-orange (je me tue à lui dire qu’ils sont bourrés d’huile de palme et que ce serait plus sain de manger des vraies tartines de bon pain, mais ma maman est probablement aussi têtue que moi) (à moins que ce ne soit l’inverse), envoyer donc, chaque matin, un mail à sa maman à elle. Et, plus important encore, ménager, chaque jour, ce temps consacré à lui écrire ce mail, sans souffrir d’aucune excuse ou interruption pour ne pas s’y résoudre.
Et, puisqu’il n’y a sans doute rien qui ne compte plus pour moi que les traditions familiales, cela a toujours été important pour moi, ces mails quotidiens. Un petit rendez-vous qui atténuait un peu la distance (je suis partie vivre à Lyon sitôt – ou presque, les aléas de la vie m’ont donné un an de répit – mon bac obtenu, mes parents habitant à Bordeaux, c’était probablement la distance la plus longue à parcourir en train puisque, comme chacun sait, la France ne se traverse pas d’ouest en est en TGV) (peut-être que maintenant, si, mais vous savez, cela fait DOUZE ANS que j’ai eu mon bac). La distance, donc, qui n’était pas forcément très simple pour moi à vivre au début, puisque je sortais de quelques années mouvementées en terme de santé et que je n’étais pas vraiment guérie et que, seule, dans mon petit appartement sous les toits, j’étais parfois un peu fragile.
Garder ce lien avec ma maman me rassurait et je savais qu’une fois sur deux, j’allais en terminer la lecture en riant aux larmes, parce que ma maman, parmi toutes ses qualités, est une conteuse formidable, en plus d’être assez gaffeuse et maladroite. Je conservais précieusement tous ses mails, parce que je voulais, peut-être un jour, les compiler en un petit recueil, pour montrer à quel point c’est important, de se dire et de se raconter la vie.
En grandissant – en vieillissant ? -, on a légèrement perdu cette habitude, sans doute par ma faute, puisque je prends beaucoup plus rarement le temps de m’installer pour écrire, vraiment, à ma maman. Comme, en plus, je mets un point d’honneur à lui écrire en espagnol (on essaie de conserver cette habitude de parler en espagnol entre nous, quand on peut, pour ne pas trop perdre les automatismes de concordance de temps et de grammaire, mais parfois, c’est plus difficile qu’il n’y parait) et que je rédige bien moins vite en espagnol qu’en français, c’est plus compliqué. Ajoutez à cela un emploi du temps assez rempli ces derniers mois, et mon excuse du « je n’ai pas eu le temps de t’écrire » est revenue assez souvent.
Et pourtant, si vous saviez à quel point, lorsque je reçois un mail de ma maman, je le savoure et je m’en délecte. Ma maman a ce formidable don de réussir à raconter la moindre petite chose insignifiante et de la rendre extraordinaire, moitié parce qu’elle aura fait une gaffe en plein milieu, moitié parce qu’elle écrit bien, simplement. Elle me raconte tout, ses élèves, le carrelage affreux de la nouvelle maison qu’on va changer, évidemment, tu te rends compte Camille, il y a des cygnes sur ce carrelage, elle me raconte aussi parfois l’amitié, ses amitiés à elle, expatriée loin de son pays et de ses amies d’enfance, qui comprend mieux que personne les questions que je me pose sans cesse à ce sujet, elle me raconte ses promenades le long de l’océan, ses tentatives pour se remettre à courir, ses oui-oui, je vais aller au yoga, oui, elle me raconte la tarte aux courgettes que je fais pour ton papa ce soir, mais je vais en congeler un bout parce que comme ça quand j’ai la flemme, il y a qu’à ouvrir le congélateur, et oh, je suis allée à la boulangerie que tu aimes bien, là, à côté de Picard tu sais ?, et ton chat m’énerve, elle gratte la porte tout le temps. Elle me raconte ses trajets pour aller au collège, la voisine qui cuisine avec trop d’ail, elle me raconte le tennis avec ses copines, parfois elle me raconte aussi des trucs un peu plus graves, mais ce n’est pas la peine que je vous les glisse ici, je crois. Elle me demande presque à chaque fois si je suis allée faire mes prises de sang, alors j’élude souvent la réponse parce que non, évidemment, je déteste aller chez le médecin.
Je ne sais pas bien pourquoi je vous raconte ça, mais j’ai reçu ce matin un mail de ma maman, alors que cela faisait une semaine qu’on ne s’était pas écrit, vraiment (je veux dire, on s’envoie des W’App à peu près toute la journée, soit moi pour lui dire que je suis en train de faire cuire des haricots verts, soit elle pour me dire qu’il fait beau et qu’elle part à la plage) et que j’ai savouré comme jamais ses lignes. Elle me racontait ma petite nièce d’amour, I., qui apprend à parler mais, famille polyglotte oblige, elle mélange les trois langues allègrement pour former des phrases qui ne veulent pas dire grand chose à la fin, I. encore qui se cache pour faire ses bêtises tout en disant « bye » autour d’elle pour être certaine d’être seule, I. toujours, pleine de vie et adorable, qui a le droit de mettre les pieds sur la table, alors que nous bien sûr, enfants, jamais. J’ai souri pendant toute la lecture de son mail, parce que je sais qu’elle partage aussi tout cela avec moi pour que je sois un peu moins loin.
Alors je voulais juste, je crois, souligner l’importance de ces choses sans importance. Raconter le quotidien et raconter les petits riens, et arrêter, peut-être de se dire j’ai pas le temps, j’écrirai demain.