Ma maman m’a envoyé un mail ce matin, dans lequel elle me racontait – entre deux anecdotes drôles, parce que ma maman est quelqu’un de drôle à qui il arrive beaucoup de choses drôles, qu’elle raconte de manière drôle – qu’à chaque fois qu’elle pense au 25 au matin, ce 25 décembre dernier, elle pleure d’émotion encore, de me voir derrière la porte, alors que j’avais passé les six mois précédents à dire que non, je ne pourrai pas rentrer pour Noël, tu sais, c’est compliqué de rentrer pour Noël.
En juillet, ou en août, ou peut-être après, mais ce n’est pas tellement important, ma petite sœur m’avait glissé un petit message, Camillette, Camillette, on voulait te dire que pour Noël, on t’offre le billet d’avion pour rentrer. J’avais eu les larmes aux yeux, bien sûr, déjà parce qu’il y a peu de gens qui m’appellent Camillette, et ma petite sœur en fait partie, et ensuite, parce qu’après trois Noëls loin, je voulais rentrer de toutes mes forces, mais que Noël, c’est cher et que parfois, parfois, c’est compliqué de ne pas pouvoir sauter dans un avion lorsqu’on le souhaite.
J’avais regardé les billets, bien sûr, parce que je m’étais dit qu’en trois ans d’expatriation, si je n’avais pas réussi à faire une seule fois la surprise de rentrer, c’est que vraiment, il fallait faire quelque chose, tellement c’est chouette, de faire une surprise comme ça.
Lorsque j’avais 22 ou 23 ans, ma petite sœur était en Angleterre, partie être jeune fille au pair pour une année, et elle n’avait pas pu rentrer pour Noël. Alors on était un petit peu maussades, je crois, c’était le tout premier Noël sans que l’on soit tous les 5, mon grand frère était rentré, j’étais rentrée, mon papa était au travail (il travaille beaucoup, même le 24 décembre) et puis il était revenu un peu tard, on était devant la télé, je m’en rappelle bien, on était quand même bien habillés, mais on attendait l’heure du dîner avachis, mon frère et ma maman sur le canapé, moi par terre, parce que j’aime bien m’asseoir par terre. Mon père était entré, et puis ma petite sœur était là, juste derrière, grand sourire et grande valise et je me rappelle encore les petites larmes de joie de savoir que ce n’était pas encore le moment de passer des Noëls loin.
Peut-être qu’un jour, je vous raconterai pourquoi les Noëls en famille sont si importants, pour moi.
On avait passé des moments merveilleux. Et puis après ça, on a grandi, on est partis un peu plus loin, tous, et les Noëls pas-tous-ensemble ont commencé, apportant leur lot d’autres choses, aussi.
Alors en juillet, ou en août, ou peut-être après, mais ce n’est toujours pas tellement important, quand ma petite sœur a dit Camillette, Camillette, j’ai eu les larmes aux yeux, j’ai dit merci, peut-être merci mille fois, et je suis partie poser mes vacances. On a décidé qu’on ne dira rien à maman, on lui fera la surprise, elle va être si heureuse !
Alors on a rien dit. On a gardé notre langue jusqu’au bout, chuchotant par messagerie instantanée (on ne chuchote pas vraiment par messagerie, mais on aurait chuchoté si on était en vrai), inventant des petits mensonges, oh, mais si ce sont des mensonges pour une surprise, ça ne compte pas vraiment, si ?, ma maman me demandait mille fois si vraiment, je ne pouvais pas prendre quelques jours, mais non, maman, Noël, c’est compliqué au travail, c’est la période la plus intense, mais on pourra skyper, oui je sais, c’est pas pareil, mais bon, et oui, bien sûr, vous aussi vous me manquez.
J’avais acheté des cadeaux que j’avais glissé dans leur valise, alors qu’ils étaient à Montréal pour quelques petites journées, quelques semaines avant Noël, pour que, maman, tu les déposes sous le sapin comme si j’étais vraiment là, vous voyez, on avait vraiment les choses bien pour la surprise. Deux jours avant de prendre mon avion, personne n’avait encore gaffé, j’avais un pied dans ma valise qui ne fermait pas – j’ai encore pris trop d’affaires de sport – et un pied dans mon mensonge, à réfléchir à quelle excuse inventer parce que je n’allais pas pouvoir skyper le 24, toute attablée devant mon plateau-repas Air Canada que je serai à ce moment.
Après un vol long de sourires et d’impatience, ponctué de messages remplis de points d’exclamation et de j’ai hâte, j’ai hâte, j’ai bien trop hâte entre ma sœur et moi, juste après avoir dit que j’avais quand même failli rater mon avion, hein, ma valise m’a fait le plaisir d’arriver tout de suite, alors que j’envoyais des messages j’arrive, j’arrive, j’arrive, dans trois minutes on se voit, oh la la ! à ma petite sœur qui était juste derrière la porte, avec mon papa, attablés en train de manger un croissant d’aéroport et un café d’aéroport, que j’imagine comme doux, de l’attente impatiente, de la hâte et des sourires qui se dessinent déjà en imaginant les minutes qui vont suivre.
Et puis j’ai passé la porte et puis, comme dans les films, ma petite sœur a couru vers moi, et puis j’ai couru – enfin, tant bien que mal avec mon chariot trop lourd – vers elle et puis, en pleurant et en souriant, on s’est jetées dans les bras l’une de l’autre en murmurant tu m’as manquée, oh la la, tu m’as manquée. Mon papa était resté à la table du café parce que ma sœur avait bondi trop vite sur ses pieds – et qu’à Paris, on ne laisse pas un iPhone et son chapeau sur la table sans surveillance, parce que mon papa porte tout le temps des des chapeaux, l’hiver. On s’est sauté dans les bras aussi, ma petite Camille, il a murmuré, parce qu’il m’appelle toujours ma petite Camille, et puis on a pris la voiture, en mentant, encore, à ma maman, restée à la maison avec mon frère, ma belle-sœur et ma petite nièce d’amour habillée en Père Noël et impatiente d’ouvrir les cadeaux, même si je crois que c’est ma maman qui était le plus impatiente d’ouvrir les cadeaux, soyons honnêtes.
On avait prétexté une fuite d’eau chez ma cousine, absente pour les vacances, pour que mon papa et ma sœur filent au petit matin, vraiment, un 25 décembre, c’est beaucoup de malchance. Alors il fallait rassurer ma maman, tout va bien, pas trop de dégâts, non, non, on attend le bus qui est un peu long et on arrive, non, n’allume pas le four encore, mais oui, oui, on arrive, promis, on se dépêche.
Et puis, et puis, et puis. Ma petite sœur m’a expliqué son appartement, il faudra être sûrs que les rideaux sont fermés, sinon, maman pourra nous voir, alors attends, je vais dire à G. (mon frère, donc) de fermer les rideaux, voilà, et puis je passerai en premier et toi Camille, tu pourras sonner à la porte et quand maman ouvrira, on va dire à G. de dire à maman d’ouvrir, hein, oui attends, je lui dis ça aussi, et bien quand maman ouvrira, tu pourras dire Joyeux Noël, comme dans les films, tu vois, et comme ça moi je filmerai, pour qu’on rate rien de tout ça.
Alors on a fait exactement ça. J’ai sonné, mon frère a dit « maman, tu peux aller ouvrir ? N. a dû oublier ses clés » et puis ma maman a ouvert et puis j’ai dit Joyeux Noël et puis ma maman est tombée dans bras, en pleurant un peu et en bredouillant que, mais, Camille, tu es là ! On a filmé, mais le couloir était tout noir, alors on ne voit rien, et puis après, ma maman a dit mais vous avez pas filmé, au moins, hein ?
Il y a eu des sourires et des larmes, des non mais vraiment, vous le saviez tous ? Tous sauf moi ?, des rires, ma petite nièce habillée en Père Noël, pour ouvrir les cadeaux en riant, toujours, et en étant simplement heureux. Comme un Noël tous ensemble.