Je déteste cette maxime. Est-ce que, sous ce prétexte d’honorer un proverbe vieux comme le monde, il faudrait ne pas être bienveillant avec ceux qu’on aime ? Vous savez, je crois qu’il ne se passe pas une seule journée sans que j’entende, pas forcément à mon égard d’ailleurs, mais autour de moi, des petites piques lancées, suivies de ce fameux « oh, ça va, qui aime bien châtie bien, hein. »
Ce sont des petites phrases, lancées sans l’intention de blesser je crois. Elles pourraient effleurer ceux qui ont appris à pas trop y faire attention, ceux qui ont un peu confiance en eux et ceux qui ont sans doute assez de recul pour ne pas tout prendre trop à cœur.
Pour les autres, pour les personnes un peu trop sensibles et un petit fragile là, juste là où la confiance en soi s’installe, elles détruisent tout.
Ce sont des petites phrases jetées entre deux autres, sans même qu’elles ne soient trop réfléchies, trop pensées, trop calculées, qu’on peut facilement rattraper de manière humoristique, allez quoi, rigole un peu, quand on se moque de toi. Des simples mots, coincés entre d’autres, qui ne devraient pas faire si mal et qui ne devraient pas donner en permanence l’envie d’aller laisser couler des larmes un peu plus loin, qui ne devraient pas tout remettre en question, ce sont des blagues, allez, rigole un peu quand on se moque de toi, tu sais, qui aime bien châtie bien.
Ce sont des phrases parfois moqueuses, parfois douteuses, souvent les mêmes remarques, qui remettent en question vos idées, vos arguments, vos convictions. Des conclusions tirées un peu vite, qui, misent bout à bout, font poser beaucoup de questions, comme si on en avait pas déjà assez en tête, des questions, des doutes et des peurs.
J’ai beaucoup d’humour, j’ai beaucoup d’auto-dérision, je suis la première à dire que mes fesses sont un peu trop comme ci et pas assez comme ça, que mes cheveux font n’importe quoi, que parfois je m’emporte, que souvent je suis excentrique et dans mon monde, que mes convictions sont souvent trop, ou qu’elles sont pas assez, que je devrais prendre du recul, lâcher du lest. Mais quand on est hypersensible, l’humour, il s’arrête net sur une ligne difficilement matérialisable, qui, une fois franchie, rend tous les petits mots piquants comme des aiguilles qui font mal et qui restent là, pendant longtemps. Qui aime bien, châtie bien, ça suffit pas à faire oublier.
Toutes ces petites phrases assassines que vous dites, que je dis, qu’on dit tous de l’autre, en pensant faire rire, sans mauvaise arrière pensée, sans mauvais fond et sans plus grande portée que la table du repas, que le face à face, que le cercle de chaises de l’apéro, parce que de toutes façons, on aura pris soin, bien avant, de se protéger du sceau de la méchanceté, qui aime bien châtie bien, ça devrait pourtant pas tout excuser. Sous ce proverbe, on cache bien trop de ces petites phrases qui, sans qu’on ne s’en rende compte, font voler en petits éclats chaque jour un peu plus les bouts de confiance en soi qu’on s’était forgé, quand ça allait mieux.
Mais qu’importe, hein, puisqu’on t’aime bien.